Cet article fait partie de la série "Retour vers le futur".

Aujourd'hui, comme souvent le weekend, je me réveille vers 9h00 et travaille mon chinois jusqu'à midi. Mine de rien, je pense que peu à peu je fais des progrès. Le rythme peut parfois cependant me sembler un peu lent, mais ce n'est après-tout qu'une vaste entreprise de mémorisation. Pour ceux qui ne connaîtraient pas réellement les caractéristiques principales de la langue chinoise, je vais vous les exposer brièvement.

Le chinois est une langue très ancienne, l'une des plus anciennes encore parlées à ce jour qui descende directement de l'Antiquité. Si l'on songe à toutes les modifications que notre langue a pu connaître depuis ses origines, qui font intervenir à des degrés divers l'égyptien hiéroglyphique, le phénicien, le grec, le latin, les langues germaniques et j'en passe, c'est tout de même assez impressionnant. Il faut savoir qu'avec un peu d'entraînement, il est toujours possible pour des Chinois de lire des textes datant de plusieurs siècles avant notre ère ! Les signes ont changé, évolué, mais sont restés suffisamment semblables pour qu'une étude rigoureuse permette d'en retrouver le sens. Je défie le Français moyen de faire ça avec notre langue !

La forme que j'apprends est le chinois mandarin (appelé 普通话 pu3tong1hua4, ce qui signifie langue commune). En effet, il n'y a pas une langue chinoise, mais une multitude de dialectes. Le côté extraordinaire du chinois, c'est que toutes ces langues régionales (à la prononciation tellement différente d'une province à l'autre que les Chinois ne peuvent pas se comprendre entre eux) ont en commun la même écriture (à de petites nuances près, il est vrai. Par exemple le cantonais possède certains caractères que les autres dialectes n'utilisent pas). Le mandarin n'est autre que l'un de ces dialectes, très proche du dialecte parlé à Pékin, et donc de ce fait promu langue nationale par le Parti Communiste. Celui-ci tente en effet, à l'instar de ce qui a été fait en France à une époque, de museler les dialectes au profit d'une langue unique, le mandarin. La scolarité est de ce fait entièrement dans cette langue, de même que tout ce qui a trait aux médias ou à l'administration. Toutefois, ces dialectes restent largement employés dans la vie quotidienne. A Shanghai, les gens parlent souvent le Shanghaien, langue dont je ne comprends pas un traître mot.

D'où vient cette universalité de l'écriture dans un pays immense, dont les gens ne sont pas à même de se comprendre à l'oral ? Ce n'est bien sûr pas l'œuvre de la nature, mais bien l'empreinte de la main de l'homme. Cette homme en question, c'est l'empereur Qin (220 avant JC), qui le premier unifia la Chine sous un seul et unique pouvoir (de fer, soit dit au passage). Ce personnage très important dans la mémoire des Chinois a imposé une écriture standard, ainsi que des unités de mesure unifiées (songer que nous avons attendu la Révolution de 1789 pour faire la même chose en ce qui concerne ce dernier point...). Depuis lors, malgré les bouleversements, la fin de l'Empire, les débuts de la République de Chine, et l'avènement de la République Populaire de Chine, ces acquis demeurent (l'empereur Qin n'a d'ailleurs pas laissé que ce souvenir. Son nom serait à l'origine du mot "Chine" en Français, selon la majeure partie des historiens). Aujourd'hui, le Parti tente de relever le même défi qu'il y a plus de 2000 ans en ce qui concerne la langue orale, avec il est vrai des moyens de communications n'ayant rien à voir avec ceux de l'époque !

L'écriture chinoise a une dimension magique dans l'esprit des habitants de l'Empire du Milieu, allant bien plus loin que notre seul amour des belles œuvres littéraires et poétiques. Certains caractères portent bonheur. D'autres servent à éloigner les mauvais esprits. D'autre encore peuvent participer à la guérison des maladies.

Son organisation grammaticale comporte également des différences significatives avec nos langues indo-européennes. L'une des questions que l'on m'a souvent posées a trait à l'alphabet chinois. Combien de signe le composent ? il s'agit là d'une méprise, au demeurant pardonnable. Le chinois est la seule langue majeure dans le monde à ne pas avoir d'alphabet ! (le japonais en a deux, les Coréens ont depuis longtemps remplacé leurs signes par un alphabet...). Les mots ne sont pas composés de lettres, et donc ne sont pas liés à des aspects phonétiques (en fait, la prononciation peut être donnée par certaines parties des caractères, mais ce n'est pas systématique, et n'a rien à voir avec le lien très fort entre l'écrit et l'oral qui existe chez nous). Le chinois est construit à partir d'idéogrammes (représentation d'un concept, l'amour par exemple), de pictogrammes (représentation d'un objet concret, un arbre par exemple) et d'idéophonogrammes (qui donne une indication phonétique en sus). Dans le cas des idéogrammes, un caractère représente une idée. Cela explique le grand nombre de caractères nécessaires : il faut pouvoir construire l'ensemble du vocabulaire à partir de ces atomes de sens. En Français, on retrouve parfois des combinaisons similaires à celles opérées en chinois, lorsqu'il s'agit de mots récemment ajouté à notre langue. Toutefois, pour créer ce nouveau mot, nous avons souvent combiné deux mots dont la transcription est bien évidemment liée à une notion phonétique.

Pour bien éclaircir ce point, voici un petit exemple. Le mot "téléphone" est assez récent en Français (il n'y avait pas de téléphone avant !). Il est composé de deux mots dérivant du grec, le premier "τελε" (télé) signifiant "loin", le deuxième venant de "φονη" et signifiant "la voix". Le téléphone est donc "ce qui transporte la voix au loin". On est bien parti d'idées pour créer ce mot. Pour autant, les deux "atomes" considérés n'en sont pas, et sont eux même pris par les aspects phonétiques. Le chinois reste cohérent jusqu'au bout. "Téléphone" se dit 电话. 电 représente l'éclair, et par conséquent l'électricité. Il s'agit d'une lumière au bout d'un bâton. Il s'agit bien d'un idéogramme, une façon écrite d'illustrer une idée. 话, construit de la même façon, signifie "la voix". Ces deux caractères mis ensembles forment le mot 电话, c'est à dire la "parole électrique". Tout le chinois fonctionne selon ce principe, ce qui implique un grand nombre de caractères différents (Ballo travaille sur une langue qui serait formé d'un nombre minimal de radicaux. Il vous expliquera cela mieux que moi, je pense, n'est-ce pas, Ballo ?).

Nous avons ainsi vu comment construire des mots. Mais ce qui est magique en chinois, c'est que les caractères eux-mêmes sont construits selon le même principe. La clarté (明) est ainsi formée du Soleil (日) et de la Lune (月). L'Est (东) est formé du soleil (日) se levant au-dessus d'un arbre (木). Ce dernier exemple est moins flagrant, du fait de la simplification de l'écriture chinoise (c'est pour moi l'occasion d'aborder ce point dans le prochain paragraphe). La forme traditionnelle est 東. On voit tout de suite comment c'est construit.

La simplification de l'écriture chinoise a eu lieu dans les années 50, sous l'impulsion du Parti Communiste (même si l'idée est plus ancienne). C'était un moyen de faciliter l'accès des masses à l'écriture. Malheureusement, cette opération n'a pas eu que des avantages, et la simplification à tout va a parfois fait disparaître les informations de construction des caractères, augmentant la difficulté à deviner leur sens à partir de leur graphie.

Une autre question que l'on peut se poser a trait à la forme des caractères. Pourquoi sont-ils si abrupts ? Il faut savoir que ce n'a pas toujours été le cas. Dans l'Antiquité, ils ont même été ronds à certaines époques. En fait, la forme est tout simplement liée aux instruments d'écriture utilisés, qui au cours de 3 millénaires ont évolué avec les techniques. Au départ, la gravure se faisait avec une pierre tranchante à l'intérieur des carapaces de tortue, plus tard, des poinçons ont servi à graver le cuivre. Enfin, ce qui a donné la forme de l'écriture telle qu'elle est utilisée aujourd'hui est tout simplement le pinceau, qui a connu ses heures de gloire avec une autre invention chinoise indissociable de notre quotidien : le papier.

En ce qui concerne la grammaire, elle est des plus simple en chinois. Il n'y a pas de conjugaison, pas de pluriel, pas de déclinaisons, pas de désinences, pas d'articles... Les mots sont des concepts généraux, qui prennent leur sens en fonction de leur position dans la phrase, suivant des syntaxes très précises. En voici un exemple pour une phrase courante : [CC de temps] + sujet + [CC de lieu] + verbe + [COD]. Il existe un grand nombre de constructions différentes, mais très précises. Hors de ces règles, le chinois devient incompréhensible. L'absence de conjugaison est compensée par l'adoption de CC de temps, qui enlèvent la plupart des ambiguïtés (le chinois est toutefois moins précis que le français dans la plupart des cas). C'est une langue concise, de mots clés, qui cherche plus à transmettre des idées que des belles phrases (la poésie chinoise réussit toutefois avec brio à relever ce second défi).

Le fait qu'il n'y ait pas d'article induit une autre conséquence. Les mots employés pour désigner des choses parlent toujours d'ensemble d'éléments, et non d'élément en particulier. Par exemple, le caractère "homme" (人) désigne en réalité l'ensemble des hommes, c'est à dire l'humanité. Le mot "livre" (书) désigne l'ensemble des publications. Le chinois a alors recours à ce que l'on appelle un "classificateur" (量词). Celui-ci a pour sens "un élément de l'ensemble". Ainsi, en considérant les classificateurs 位 et 本, dédiés respectivement aux hommes et aux livres, on obtient "un homme" (一位人) et "un livre" (一本书), "一" signifiant "un" (en terme de nombre, pas d'article).

Une autre question qui m'a souvent été posée porte sur le nombre de caractères à savoir pour pouvoir dire que l'on sait parler chinois. la réponse n'est pas si évidente que ça. L'apprentissage est généralement basé sur la fréquence des caractères, et non des mots (ce qui fait qu'après 3 ans de chinois, je parle moins bien la langue qu'au bout d'un an d'espagnol). On estime qu'avec 3000 caractères (et plusieurs dizaines de milliers de mots formés avec eux), on peut se débrouiller à peu près dans la vie courante et dans la lecture des journaux. Les Chinois eux-même maîtrisent de l'ordre de 6500 à 7000 caractères. Les imprimeurs et les ordinateurs ne possèdent d'ailleurs pas plus de ces caractères, donc cela couvre la quasi-totalité des publications. Toutefois, il existe de nombreux autres caractères, fort peu fréquents, mais cruciaux dans certains domaines. Si l'on compte les variantes et les évolutions, on arrive à des totaux de 70000 à 80000 caractères existants. inutile de dire que personne ne les maîtrise tous...

Je viens ainsi de vous donner en quelques lignes les principales caractéristiques du chinois écrit. Reste à aborder l'aspect oral. C'est extrêmement compliqué pour des étrangers, beaucoup plus même que l'écriture (qui se résume en fait à un apprentissage méthodique des différents caractères et à l'application bête et méchante d'une syntaxe immuable). il existe de très nombreux caractères, mais très peu de syllabes (une centaine peut-être, pour des milliers de caractères). Dès lors, tout ou presque se prononce de la même façon. L'oral est donc un vrai casse-tête. Heureusement (ou malheureusement, c'est selon), le chinois a introduit des "tons". il s'agit d'inflexions de la voix, tantôt montante, tantôt descendante, tantôt brève, tantôt longue. La plupart du temps, cela aide beaucoup. Les Chinois utilisent également très peu de mots monosyllabiques, sauf pour des mots vraiment très courants, car cela augmente les risques d'incompréhension. Un mot chinois est donc usuellement constitué de deux caractères, ce qui lève pas mal d'ambiguïtés. En tant qu'étranger étudiant la langue chinoise, je suis en mesure de livrer cette confidence à l'encontre des tons : les tons sont le point auquel les étrangers doivent faire le plus attention s'ils veulent avoir un espoir d'être compris, alors que les Chinois ne les font pas de façon réellement rigoureuse. Mais eux se comprennent sans bien les faire, ce qui n'est pas notre cas... Il faut savoir être humble, le chinois est délicat à apprendre. Cela explique parfois que lors de certaines cérémonies officielles, des hommes politiques étrangers essayant de flatter l'ego des Chinois en prononçant quelques mots dans leur langue, se retrouvent face à une assemblée hilare. Un ton mal prononcé peut changer le sens du tout au tout.

Pour simplifier l'apprentissage du chinois, notamment dans les écoles, le gouvernement chinois a mis en place dans les années 50 une transcription officielle, appelée le pinyin (拼音 pinyin, signifiant "transcription" en chinois). Cette transcription a eu l'immense mérite de simplifier la jungle des transcriptions nées des efforts des Européens pour rendre le chinois plus abordable à ceux désirant l'étudier. C'est par le biais de transcriptions variant d'un pays à l'autre que l'on a obtenu "Pékin" en français, "Pekino" en italien etc... La transcription officielle est maintenant Bei3jing1. Cette transcription a l'avantage d'être plus légitime que les autres car provenant des chinois eux-même. Il est à noter cependant qu'elle n'est pas parfaite et aurait pu gagner à être plus claire (pour les chinois, pourquoi dit-on 路 et 许, avec un "u" dans les deux cas, alors que l'un est "u" et que l'autre se prononce "ou" ? Le "ü" existant dans la transcription, pourquoi ne pas l'avoir utilisé ?). Il y a certainement des raisons qui m'échappent. On remarquera que la transcription mise en place par l'EFEO (Ecole française d'Extrême Orient) au 19e siècle, et qui a fait beaucoup pour faire connaître la Chine aux Européens est à l'origine de beaucoup de termes notamment historiques qui s'écrivent différemment dans les livres en français traitant de l'histoire de Chine et dans les livres chinois. Par exemple, si les chinois voient écris "Tchang Kaï-chek", je doute qu'ils reconnaissent aisément "Jiang Jieshi" !

Voilà, je pense avoir fait le tour des principales caractéristiques du chinois ! C'est assez en tout cas pour aujourd'hui. j'ai sans doute oublié plein de choses, aussi ne manquerai-je pas de vous en faire part au cours de prochains billets. Si vous avez des remarques, des questions ou des commentaires, n'hésitez pas à les formuler. Je trouve agréable d'avoir un blog vivant !

Commentaires rétrospectifs (25/07/2015)
  • Il est intéressant de relire, des années après, un tel article. Comme on le dit familièrement, de l'eau a coulé sous les ponts, et j'ai depuis approfondi nombre d'aspects liés à la langue et à la culture chinoise. Il en résulte la détection, parfois, d'approximations voir de contre-sens que je n'aurais pas vu à l'époque.
  • J'ai légèrement retravaillé le texte par endroit, afin notamment de faire apparaître les notions de pictogrammes et d'idéophonogrammes, le chinois ne se limitant pas eux seuls idéogrammes.
  • Sur le sujet du nombre de caractères à connaître, je vous renvoie pour plus de précision vers un article plus récent dédié à cette question.
  • Langue de Ballo (i.e. Matthieu, un fidèle lecteur de ce site) est décrite sur son propre blog dans cet article.
  • Je vous invite également à lire mon article sur la façon de tracer les caractères chinois.