Aventure gastronomico-culturelle pour Q et moi, qui prenons de bon matin le train pour Nankin. La journée s'annonce plutôt belle, même si la brume omniprésente de la pollution limite quelque peu la visibilité. La température est en hausse et se révélera vite agréable. Une nette amélioration par rapport à ces derniers jours.

Nous quittons la gare à pied pour longer les rives du lac 玄武 Xuan2wu3, jusqu'à 玄武门 Xuan2wu3men (la porte Xuanwu), point de départ de la rue du Hunan, artère commerçante "historique" de la ville. Le lac est calme et brumeux. Nous découvrons qu'une bonne partie des berges, au pied des remparts, a été récemment réaménagée. C'est là que se dresse une statue de granite de Wang Anshi, célèbre réformateur de la dynastie Song, sans doute à bien des égards un peu en avance sur son temps (voir encadré ci-dessous).

Berges du lac
Nankin s'éveille dans les brumes du lac
Wang Anshi
Wang Anshi, le célèbre réformateur de la dynastie Song

王安石 Wang2 An1shi2 (1021-1086) est un homme d'État de la dynastie 宋 Song4 originaire de la région. Entre 1068 et 1085, il est à deux reprises premier ministre de l'empereur 神宗 Shen2zong1 (1067-1085). À rebours des politiques pratiquées jusqu'alors, il se fera le chantre de réformes visant à reconstruire l'État fort mal en point, dont certaines visant à plus d'égalité et d'harmonie sociale, que l'on pourrait de nos jours rapprocher d'un début d'état providence : allègement de la pression fiscale sur les paysans pauvres, suppression des corporations de marchands accusées de favoriser les intérêts de quelques grands au détriment du plus grand nombre, prêts étatiques pour suppléer aux taux "offerts" par les usuriers.

En plus d'une vaste réforme fiscale, Wang Anshi augmente les salaires des fonctionnaires pour lutter contre la corruption, élargie la base de recrutement de ceux-ci en ouvrant des centres de formations, et instaure des milices paysannes pour améliorer la sécurité dans les campagnes. Cet environnement propice voit la création de nombreuses institutions caritatives et sociales, mais également de fortes résistances, tant de la cour que d'une partie de la population qui voit ses acquis remis en cause.

La réaction des conservateurs ne se fera pas attendre, et après avoir réussi à sauver ses réformes une première fois, Wang Anshi devra s'effacer à la mort de Shenzong. S'en suivra alors une période d'incertitude et de conflit, les conservateurs s'employant à annuler l'une après l'autre chaque mesure, au prix d'une grande agitation sociale, laissant quelques trente ans plus tard un pays exsangue à la merci de l'invasion des Jürchen, peuple de Mandchourie qui occuperont le Nord du pays et y établiront la dynastie Jin.

La promenade est des plus agréables. De nombreux retraités dansent, font du tai chi ou tout simplement papotent près des arbres dans lesquels ils ont suspendu la cage de leur oiseau chanteur, ravi de pouvoir piailler à loisir.

Activités retraités
Activités matinales au parc
Building et muraille

Sous l'abri d'une coursive, deux hommes jouent aux échecs chinois tandis que les 4 spectateurs qui les entourent se disputent sur les coups que l'un et l'autre devraient jouer. Un groupe d'enfants, en vacances, se livre à une sorte de jeu de piste entre les arbres sous l’œil vigilant de leurs accompagnateurs, tandis que deux retraités, écoutent 青藏高原 Qing1zang4 gao1yuan2 sur une sono nasillarde (cette chanson, qui parle du plateau Qinhai-Tibet, est une chanson de propagande dont la mélodie est à mon sens très belle, très difficile à chanter et dans ce style assez lyrique que l'on retrouve souvent chez les chanteurs affiliés à l'Armée Populaire de Libération). Cette ballade est magique.

Porte Xuanwu
La porte Xuanwu marque la fin de la promenade au bord du lac... et de la tranquilité !

Passé la porte Xuanwu, l'atmosphère change du tout au tout. 湖南路 Hu2nan2 lu4 (la rue du Hunan) n'est plus qu'un vaste chantier à ciel ouvert ! Une ligne de métro est en construction, et longera à terme la rue sur toute sa longueur. En attendant d'en bénéficier, les commerçants locaux semblent bien la subir. Il y a fort peu de monde, les magasins sont vides... Il faut dire que le bruit est assourdissant, la poussière s'insinue partout et les trottoirs permettent tout juste aux passants de se croiser.

Nous passons un peu de temps dans une grande librairie. C'est le genre d'endroit que j'aime particulièrement, et l'un des avantages des grandes villes. Bien en évidence, à l'entrée, trône le pavé de Xi Jinping, le président chinois, sur l'art de gouverner la Chine. Celui qui a eu le contrat de sa publication a dû se faire une fortune : on le trouve partout ! Plus haut, dans les étages, nous retrouverons ce livre par rayonnages entiers dans la section dédiée à l'apprentissage du chinois par les étrangers, traduits dans toutes les langues possibles et imaginables !

De retour sur Hunanlu, nous entendons une immense clameur. Elle vient du QG de l'armée de terre, où des militaires en rang d'oignons applaudissent à l'unisson et avec cette spontanéité toute martiale le passage d'un haut gradé. Pas un geste de travers, pas un bouton qui dépasse ; pas à dire, une scène de liesse comme on en voit peu souvent : ils ont l'air de vraiment s'éclater !

Comme souvent ces dernières années, nous déjeunons à 南京大牌檔 Nan2jing1 Da4pai2dang1, ce restaurant dont les serveurs sont costumés et le décor soigné pour ressembler à une petite ville chinoise traditionnelle. Le service est un peu lent à notre goût, mais le canard façon nankinoise est particulièrement 嫩 nen4 (tendre) selon Q, et le repas fort apprécié.

Nanjing Dapaidang
Un aperçu de l'atmosphère de Nanjing Dapaidang
Canard de Nankin et lotus
Le canard façon nankinoise et les racines de lotus farcies au riz glutineux sucré

Nous prenons ensuite le métro. S'il s'étend encore, le réseau est déjà fort vaste. Les tarifs, qui partent d'un modeste 2元 (auquel mes souvenirs m'avaient habitués), augmentent avec la distance souhaitée... jusqu'à 14元 pour 84 km, et 1元 supplémentaire tous les 3 km au-delà ! C'est impressionnant pour un réseau qui semblait en retard sur celui de Shanghai (il est longtemps resté à 2 lignes), mais qui en réalité attendait son heure !

Notre objectif, c'est le musée de Nankin, situé près des ruines de 明故宫 Ming2 Gu2gong1, le palais impérial que le fondateur de la dynastie des Ming, l'empereur Hongwu, avait fait construire dans la ville alors sa capitale. C'est ce même Hongwu qui est d'ailleurs enterré dans le magnifique parc 明孝陵 Ming2xiao4ling2 que j'ai déjà évoqué. Son successeur, au cours d'une sanglante guerre de succession fera de Pékin sa nouvelle capitale et débutera la construction de la Cité Interdite, résolu tant à se rapprocher de la frontière nord pour mieux la défendre des incursions venues de la steppe que de régner dans un cadre moins dangereux pour lui que Nankin, dont les lettrés étaient acquis au successeur légitime, même décimés par une implacable répression.

Musée de Nankin
Le musée de Nankin n'a pas l'air bien grand... en surface !

Récemment rénové après un vaste chantier de quatre ans, ce musée qui en surface n'a l'air de rien se révèle immense dans ses profondeurs et fort bien doté. Peinture, calligraphie, pièces archéologiques... Nous admirons tout particulièrement la peinture réaliste de 陈之佛 Chen2 Zhi1fo2, de loin notre favorite, avec ses plantes qui semblent bruisser dans le vent et ses oiseaux prêts à s'envoler, mais également des pièces traditionnelles, telles des disques de jade (璧 bi4) ou les fameux tripodes (鼎 ding3) antiques. Parmi les autres pièces d'intérêt, on peut citer les monnaies de différentes époques (bêches, couteaux, pièces rondes percées en leur centre...) et surtout les troublantes armures de jade (la pierre d'immortalité) cousues de fils d'or, et dont étaient parés les souverains Han lors de leur inhumation (le plus souvent en compagnie de leurs serviteurs et favorites qui les suivaient dans la tombe ; je me suis souvent fait la remarque que cela permettait d'éviter à ces proches d'attenter à ou de négliger la santé du souverain !).

Dinosaures
L'histoire chinoise commence... avant les Chinois !
Caractères
Jolie installation mettant en évidence des caractères chinois de style anciens
Peinture oiseau
Cette peinture est si réaliste qu'on imagine l'oiseau prendre vie !
Tripodes
Les tripodes de bronze, objets rituelles symboles de pouvoir dans une Chine antique centrée sur le culte des ancêtres
Disque bi
Les disques de jade Bi, à la fonction rituelle encore assez mystérieuse de nos jours
Monnaie 1
Différentes monnaies ayant eu cours sous la dynastie Zhou...
Monnaie 2
... avant l'adoption généralisée de la monnaie du conquérant Qin
Armure de jade 1
Armure funéraire en jade
Armure de jade 2
Les carreaux de jade, pierre d'immortalité, sont tenus ensembles par des fils d'or
Mur de brique

Au tout dernier étage, une petite exposition temporaire rassemble les pièces représentant ou évoquant le singe, dont l'année est sur le point de commencer, avec tout naturellement en vedette Sun Wukong, le héros de la Pérégrination vers l'Ouest, le plus célèbre d'entre eux.

À 17h, lors de la fermeture du musée, nous reprenons le bus puis flânons autour de 夫子庙 Fu2zi miao4, le Temple de Confucius, à admirer les lanternes le long de la rivière 秦淮 Qin2huai2.

Rivière et dragons
Vue sur la rivière Qinhuai
Singe
L'année du singe est sur le point de commencer
Lanterne publicitaire
La pub est partout, à l'image de cette lanterne Coca-Cola

Nous avons depuis quelque temps déjà l'habitude saugrenue de collectionner chaque année une petite peluche à l'effigie de l'animal dont l'année chinoise est en cours. Cette fois, cependant, bien que le sujet s'y prête tout particulièrement, les peluches disponibles ne nous convainquent pas. Impossible d'en trouver un qui ait l'air espiègle ou farceur ; au mieux peut on les trouver stupides... Finalement, nous nous rabattons sur un petit Sun Wukong. Certes il n'est pas rouge, mais il donne enfin l'impression d'être un peu dégourdi.

Nous quittons le Temple de Confucius pour 新街口 Xin1jie2kou3, le "Commerce" nankinois, point de croisement des lignes 1 et 2 du métro, et l'une des zones commerciales les plus importantes de Chine ! Nous y gagnons un de nos restaurants habituels, ou après un peu d'attente nous dégustons un bon canard laqué façon pékinoise.

Canard laqué pékinois
Canard laqué pékinois

Cette année, toutefois, le restaurant nous laisse une impression mitigée. Si le canard est très bon, le service un peu bâclé et l'hygiène... hésitante nous frappent tout particulièrement. Devenons-nous plus exigeants ou bien le fait d'avoir une vue sur les cuisines en est-il la cause ? Toujours est-il que nous décidons que la prochaine fois nous essaierons un autre endroit pour notre dose annuelle de canard laqué !

Le retour à Danyang en train s'effectue sans encombre. Trouver un taxi à l'arrivée est une autre paire de manche. Bien que ce ne soit pas très loin, il faut en effet compter une bonne heure de marche, et Q, enceinte, a déjà beaucoup marché aujourd'hui. Le problème, c'est qu'il y a des taxis, des dizaines même, et qu'ils sont agressifs dans leurs sollicitations. Seulement, aller en ville ne les intéresse pas : ils cherchent des clients prêts à payer (de préférence à plusieurs et au noir !) leur retour chez eux, à la campagne. Seule solution : nous éloigner de la gare, où nous trouvons finalement assez facilement un taxi "régulier" qui nous ramènera.

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