Après une matinée bien tranquille, nous laissons L à ses grand-parents et prenons en début d'après-midi le train pour Nankin. Nous découvrons ainsi que certaines lignes s'arrêtent à une station dédiée au campus extérieur de l'ancienne université de Q (cela aurait été pratique à l'époque !). À Nankin, nous prenons le K25, un vieux train couchette assurant la liaison Nankin-Shenzhen. De son train de sénateur, il nous emmène – lentement mais sûrement – vers 黄山 Huang2shan1, la Montagne jaune ; partis à 15h40, nous y arriverons vers 22h (le train, lui, poursuivra son lent trajet vers Shenzhen, où il arrivera à 16h30 le lendemain !).

Je parle de train "lent", mais il y a en réalité moins rapide encore. Le "K" de K25 est en effet l'abréviation de 快车 kuai4che1 (train rapide) et a en son temps représenté une certaine amélioration en ce qui concerne les temps de trajet par rapport aux lignes désignées par leur seul numéro. Ces dernières années se sont rajoutés les classes des "D" (动车 dong4che1) et des "G" (高铁 gao1tie3), toutes plus rapides, ce qui fait qu'aujourd'hui on ne peut plus réellement considérer ce train comme un "express"...

En Chine, on dénombre parfois jusqu'à quatre classes dans les trains "couchettes" : les couchettes "molles" (软卧 ruan3wo4), confortables avec en général quatre personnes par compartiment, les couchettes "dures" (硬卧 ying4wo4), avec généralement six personnes par compartiment, les sièges "mous" (软坐 ruan3zuo4) et les sièges "durs" (硬座 ying4zuo4), les prix n'étant naturellement pas les mêmes d'une classe à l'autre. Autant j'ai déjà emprunté les couchettes "molles" et "dures" et peux témoigner d'un confort souvent bien suffisant dans le deuxième cas, autant je ne suis pas très chaud à l'idée de faire un jour plus de vingt-quatre heures de trajet sur un banc en bois...

Naturellement, du fait de notre heure d'arrivée à Huangshan, il n'est pas question cette fois de dormir, mais le fait de disposer d'une couchette présente certains avantages, notamment lorsque l'on veut s'installer confortablement pour lire une fois la nuit tombée...

TGV
Quand le nouveau train double l'ancien...
Couloir du train
Le couloir dans lequel, assis près de la baie vitrée, je vais pouvoir profiter du paysage.
Couchettes
En "couchettes dures", il y a 6 personnes par compartiment.

Quel bonheur de voyager ainsi, en prenant le temps ! Assis près de la fenêtre, j'écris mon journal et profite du paysage en sirotant un bon 铁观音 Tie3 Guan1yin1 (un thé Wulong aux grandes feuilles entières). Je l'ai préparé "à la chinoise", c'est à dire que les feuilles restent dans la tasse, dans laquelle je rajoute régulièrement de l'eau. Cette façon de faire, si elle n'est pas adaptée à tous les thés (et notamment aux thés noirs ou parfumés communs en Europe), est très agréable pour les thés verts chinois.

Sur le bord ou entre les voies, sous les ponts, partout où il y a un semblant de place, on croise nombre de petits lopins de cultures vivrières, parfaitement entretenus. Je soupçonne les gens de profiter gracieusement de terrains sur lesquels les agents immobiliers n'ont pu poser leurs griffes, tout en assurant ainsi un maintient en bon état des bords des voies, ce dont la compagnie des chemins de fer doit tirer indirectement bénéfice.

Cultures
Un exemple des nombreuses cultures, "sauvages" mais bien entretenues, en bord de voie.

Les passages à niveau sont actionnés par des gardes-barrière à gilets jaunes. On se croirait de retour à une autre époque, moins pressée, moins stressée, si ce n'était la présence régulière des chantiers de tours d'habitation jalonnant la voie. Le chef d'une petite gare, que nous traversons au pas, nous regarde passer, un drapeau dans chaque main, impassible au milieu d'un quai désert.

Un peu plus loin, un convoi à l'arrêt sur une voie d'usine, chargé de véhicules militaires rutilants, tous neufs et identiques.

Partout domine le vert éclatant des champs de blé, entrecoupés de canaux et d'étangs, omniprésents dans cette partie du delta du Yangtsé qui est (encore) l'un des greniers à blé du pays. On croise de petites maisons campagnardes, groupées en hameaux, où les gens étendent le linge le long des rails. La plupart de ces maisons, misérables, rappellent que ceux qui vendent des tours à la pelle ne sont pas légion dans ce pays, qui compte encore beaucoup de petites gens. Ça-et-là, les touches jaunes du colza qui n'a pas encore été récolté viennent égayer la vue (deux mois plus tôt, ce même colza devait se retrouver de partout, la campagne revêtant pour l'occasion un magnifique manteau jaune).

Village
Exemple de village traversé.

Dans la campagne de l'Anhui, les tombes sont bien visibles près des villages, récemment débroussaillées lors de la fête de 清明节 Qing1ming2 jie2 (la Toussaint chinoise, le 5 avril). Très différentes de celles autour de Danyang, elles sont fort jolies, très colorées, avec en guise de pierre tombale une sorte de maison miniature, avec toit et fenêtre.

S'il est maintenant illégal d'enterrer ses morts en Chine, au profit de l'incinération qui présente l'avantage de ne pas laisser aux cimetières de terrains qui intéressent les promoteurs, les villageois étaient encore mis en terre à proximité de leurs villages il y a de ça une cinquantaine d'année. Ces tombes, souvent bien entretenues par les locaux, sont symptomatiques de la difficulté pour la société traditionnelle à accepter les nouvelles règles. Selon la tradition, en effet, l'intégrité du corps est un point essentiel pour le repos du défunt et pour qu'il puisse jouer son rôle d'ancêtre protecteur. À titre d'anecdote révélatrice, on notera que les eunuques, fréquent au gynécée lors de l'époque impériale, étaient enterrés avec une petite boîte, qui ne les quittait jamais de leur vivant, et qui contenait leurs testicules. Ces dernières années, la police a même démantelé dans la région de Canton un groupe mafieux qui assassinait des quidams dont les cadavres, moyennant finance, venaient remplacer celui d'un défunt lors de la crémation, le corps original étant quant à lui enterré de manière "sauvage".

Cette jolie campagne laisse toutefois transparaître les problèmes qui l'assaillent. Certains canaux sont couverts d'algues vertes : la pollution des sols doit conduire à leur prolifération, car de drains en drains, polluants et engrais finissent par s'y concentrer. Par endroit, le sol est jonché de détritus, et les cours de certaines maisons font plus penser à des bidonvilles qu'à la seconde économie du monde.

Signe de la modernisation accélérée du pays, on longe le chantier d'une future ligne à grande vitesse (vers Wuhan, je suppose), avec la construction de gigantesques gares.

Vers 17h, l'odeur des pâtes instantanées commence à envahir les wagons. J'ai du mal à la supporter. Je me demande pourquoi je n'aime plus du tout ça : j'en ai certes mangé de temps en temps durant mes études à Shanghai, mais seulement en mode "dépannage", sans que la quantité ni la fréquence ne puissent justifier le rejet que j'en ai maintenant... Je me rabats sur le KFC que j'ai amené. Au moins cela masque-t-il un temps l'odeur des délicatesses culinaires de mes voisins. Nous goûtons les chips de champignon que nous avons déniché à Danyang. Ce n'est pas mauvais du tout, même si un peu salé.

Sur le quai à 芜湖 Wu2hu2, je regarde les passagers qui débarquent. Une grand-mère se casse le dos à porter un gamin tout à fait réveillé et bien assez grand pour marcher tout seul. Elle ne semble pas s'en plaindre : dans beaucoup de familles, les grand-parents sont en charge de l'éducation des enfants, au détriment des parents dont c'est selon moi le rôle naturel. Les raisons en sont multiples : pression professionnelle, manque de structures de gardes abordables et suffisamment sûres pour qu'on puisse leur confier un enfant, frustration des grand-parents qui rattrapent leur désir d'enfant contrarié par la politique de l'enfant unique, etc. Le fréquent laxisme des grand-parents (qui détonne comparée à la fermeté dont ils ont bien souvent fait preuve lorsque leurs enfants étaient à leur charge) risque fort à terme de produire une génération d'enfants-roi autrement plus difficiles que ceux issus de la génération "enfant unique"...

À Wuhu aussi, on construit à tour de bras. Au milieu des champs de ruines, quelques irréductibles résistent encore et toujours à l'envahisseur en pelleteuse. Les habitants de ces maisons isolées s'exposent, ils le savent sans doute, à toutes sortes de désagréments judiciaires, voire à un passage à tabac pur et simple, pour avoir osé défendre leur foyer.

La nuit tombe sur l'Anhui. Dans les champs, entre les hameaux s'étirent des bancs de brouillard, donnant au paysage une allure fantomatique. Il y a très peu de lumières dans les maisons.

À notre arrivée à la gare de Huangshan, G et W, nos amis pékinois, nous attendent déjà : partis plus tard de Pékin que nous de Danyang, ils sont venus en avion. G a déniché une agence sur 淘宝 tao2bao3 qui a mis un chauffeur à notre disposition pour tous les déplacements que nous souhaitons faire au cours de notre séjour. Nous apprenons qu'il y a 50 km jusqu'à notre hôtel, au pied de la montagne. C'est vrai qu'ici, c'est plutôt plat (la ville de Huangshan est paradoxalement à bonne distance de la montagne dont elle tire son nom) !

Calmement, sans stress ni excès de vitesse (il faut dire qu'il y a des radars littéralement tous les 500 m), notre chauffeur du jour nous conduit via des routes et des autoroutes flambant neuves jusqu'à 汤口 Tang1kou3, une petite ville au pied de la montagne. Nous y sommes accueillis par des enseignes lumineuses, gigantesques, et des magasins en tout genre. Le chauffeur nous explique que tout a été surdimensionné (capacité hôtelière, magasins, etc.) et il est vrai que tout est plutôt vide. Les hôtels se livrent une concurrence sans merci, et il est possible de se loger à des prix très abordables.

Notre hôtel est tout neuf, mais la qualité de la construction est décevante : le carrelage de la salle de bain, en particulier, est clairement l’œuvre d'un amateur, l'isolation est inexistante, et il nous faut nous endormir avec le bruit, difficilement supportable, du couple de la chambre voisine qui se dispute.