Après une matinée bien tranquille, nous laissons L à ses grand-parents et prenons en début d'après-midi le train pour Nankin. Nous découvrons ainsi que certaines lignes s'arrêtent à une station dédiée au campus extérieur de l'ancienne université de Q (cela aurait été pratique à l'époque !). À Nankin, nous prenons le K25, un vieux train couchette assurant la liaison Nankin-Shenzhen. De son train de sénateur, il nous emmène – lentement mais sûrement – vers 黄山
Je parle de train "lent", mais il y a en réalité moins rapide encore. Le "K" de K25 est en effet l'abréviation de 快车
En Chine, on dénombre parfois jusqu'à quatre classes dans les trains "couchettes" : les couchettes "molles" (软卧
Naturellement, du fait de notre heure d'arrivée à Huangshan, il n'est pas question cette fois de dormir, mais le fait de disposer d'une couchette présente certains avantages, notamment lorsque l'on veut s'installer confortablement pour lire une fois la nuit tombée...



Quel bonheur de voyager ainsi, en prenant le temps ! Assis près de la fenêtre, j'écris mon journal et profite du paysage en sirotant un bon 铁观音
Sur le bord ou entre les voies, sous les ponts, partout où il y a un semblant de place, on croise nombre de petits lopins de cultures vivrières, parfaitement entretenus. Je soupçonne les gens de profiter gracieusement de terrains sur lesquels les agents immobiliers n'ont pu poser leurs griffes, tout en assurant ainsi un maintient en bon état des bords des voies, ce dont la compagnie des chemins de fer doit tirer indirectement bénéfice.

Les passages à niveau sont actionnés par des gardes-barrière à gilets jaunes. On se croirait de retour à une autre époque, moins pressée, moins stressée, si ce n'était la présence régulière des chantiers de tours d'habitation jalonnant la voie. Le chef d'une petite gare, que nous traversons au pas, nous regarde passer, un drapeau dans chaque main, impassible au milieu d'un quai désert.
Un peu plus loin, un convoi à l'arrêt sur une voie d'usine, chargé de véhicules militaires rutilants, tous neufs et identiques.
Partout domine le vert éclatant des champs de blé, entrecoupés de canaux et d'étangs, omniprésents dans cette partie du delta du Yangtsé qui est (encore) l'un des greniers à blé du pays. On croise de petites maisons campagnardes, groupées en hameaux, où les gens étendent le linge le long des rails. La plupart de ces maisons, misérables, rappellent que ceux qui vendent des tours à la pelle ne sont pas légion dans ce pays, qui compte encore beaucoup de petites gens. Ça-et-là, les touches jaunes du colza qui n'a pas encore été récolté viennent égayer la vue (deux mois plus tôt, ce même colza devait se retrouver de partout, la campagne revêtant pour l'occasion un magnifique manteau jaune).

Dans la campagne de l'Anhui, les tombes sont bien visibles près des villages, récemment débroussaillées lors de la fête de 清明节
S'il est maintenant illégal d'enterrer ses morts en Chine, au profit de l'incinération qui présente l'avantage de ne pas laisser aux cimetières de terrains qui intéressent les promoteurs, les villageois étaient encore mis en terre à proximité de leurs villages il y a de ça une cinquantaine d'année. Ces tombes, souvent bien entretenues par les locaux, sont symptomatiques de la difficulté pour la société traditionnelle à accepter les nouvelles règles. Selon la tradition, en effet, l'intégrité du corps est un point essentiel pour le repos du défunt et pour qu'il puisse jouer son rôle d'ancêtre protecteur. À titre d'anecdote révélatrice, on notera que les eunuques, fréquent au gynécée lors de l'époque impériale, étaient enterrés avec une petite boîte, qui ne les quittait jamais de leur vivant, et qui contenait leurs testicules. Ces dernières années, la police a même démantelé dans la région de Canton un groupe mafieux qui assassinait des quidams dont les cadavres, moyennant finance, venaient remplacer celui d'un défunt lors de la crémation, le corps original étant quant à lui enterré de manière "sauvage".
Cette jolie campagne laisse toutefois transparaître les problèmes qui l'assaillent. Certains canaux sont couverts d'algues vertes : la pollution des sols doit conduire à leur prolifération, car de drains en drains, polluants et engrais finissent par s'y concentrer. Par endroit, le sol est jonché de détritus, et les cours de certaines maisons font plus penser à des bidonvilles qu'à la seconde économie du monde.
Signe de la modernisation accélérée du pays, on longe le chantier d'une future ligne à grande vitesse (vers Wuhan, je suppose), avec la construction de gigantesques gares.
Vers 17h, l'odeur des pâtes instantanées commence à envahir les wagons. J'ai du mal à la supporter. Je me demande pourquoi je n'aime plus du tout ça : j'en ai certes mangé de temps en temps durant mes études à Shanghai, mais seulement en mode "dépannage", sans que la quantité ni la fréquence ne puissent justifier le rejet que j'en ai maintenant... Je me rabats sur le KFC que j'ai amené. Au moins cela masque-t-il un temps l'odeur des délicatesses culinaires de mes voisins. Nous goûtons les chips de champignon que nous avons déniché à Danyang. Ce n'est pas mauvais du tout, même si un peu salé.
Sur le quai à 芜湖
À Wuhu aussi, on construit à tour de bras. Au milieu des champs de ruines, quelques irréductibles résistent encore et toujours à l'envahisseur en pelleteuse. Les habitants de ces maisons isolées s'exposent, ils le savent sans doute, à toutes sortes de désagréments judiciaires, voire à un passage à tabac pur et simple, pour avoir osé défendre leur foyer.
La nuit tombe sur l'Anhui. Dans les champs, entre les hameaux s'étirent des bancs de brouillard, donnant au paysage une allure fantomatique. Il y a très peu de lumières dans les maisons.
À notre arrivée à la gare de Huangshan, G et W, nos amis pékinois, nous attendent déjà : partis plus tard de Pékin que nous de Danyang, ils sont venus en avion. G a déniché une agence sur 淘宝
Calmement, sans stress ni excès de vitesse (il faut dire qu'il y a des radars littéralement tous les 500 m), notre chauffeur du jour nous conduit via des routes et des autoroutes flambant neuves jusqu'à 汤口
Notre hôtel est tout neuf, mais la qualité de la construction est décevante : le carrelage de la salle de bain, en particulier, est clairement l’œuvre d'un amateur, l'isolation est inexistante, et il nous faut nous endormir avec le bruit, difficilement supportable, du couple de la chambre voisine qui se dispute.
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