Aujourd'hui, la grand-mère paternelle de Q est venue déjeuner. Hier soir, une discussion passionnée entre Q et ses parents s'est penchée sur la façon dont L devait l'appeler (bien sûr, vu qu'il ne sait pas encore parler, ce sera indirectement, du genre "dis bonjour à mamie !"). Il faut dire que les appellations utilisées pour désigner les différents membres d'une famille sont un véritable casse-tête en chinois, dépendant de la personne appelante, du côté paternel ou maternel, de la génération, d'un lien direct ou par alliance ou encore de la position de la personne désignée dans sa fratrie. Au final, la solution n'a été actée qu'après une bonne heure de palabres et l'aide opportune d'une recherche Internet. Avec la venue de son arrière grand-mère, L a eu droit à sa petite enveloppe rouge (contenant de l'argent), comme c'est la tradition la toute première fois qu'on rencontre un enfant de la famille.

L'après-midi, Q et moi reprenons les vélos pour profiter du beau temps revenu et nous rendre au centre ville. Au supermarché, je tombe sur un exemplaire de 论语 (Lun2yu3 les analectes de Confucius, le principal ouvrage sur la pensée du grand philosophe élaboré par ses disciples - comme Socrate, Confucius n'a apparemment rien écrit lui-même). Cette version est destinée aux enfants, simplifiée, avec la transcription pinyin. Je l'achète pour meubler les longues soirées d'hiver...

En rentrant par un chemin inhabituel, nous constatons que la démolition du vieux quartier évoquée l'autre jour s'étend encore plus loin que nous le pensions, et que tout un côté de la grande avenue que nous empruntions les années précédentes a été rasé. Au milieu des gravas et des débuts de construction, on aperçoit les arbres d'un parc. Q y allait souvent étant enfant. Elle se souvient des manèges, des auto tamponneuses et des animaux, singes et chameaux.

En nous approchant, nous constatons que l'entrée du parc n'est plus payante. Et pour cause : les loges des gardiens sont désertes, vidées de leur contenu, sans porte ni fenêtre, le sol jonché de verre brisé, en attente de leur démolition. Des pans entiers de sol aux arbres violemment arrachés délimités par des petits drapeaux figurent les parties du parc que les promoteurs ont réussi à annexer.

Si le parc parait encore entretenu, les manèges sont rouillés, les auto tamponneuses immobiles sont abandonnées. Il reste bien quatre singes, perchés sur les rochers de leur enclos et qui attendent les enfants qui ne viennent plus guère maintenant que le quartier appartient aux pelleteuses, mais de chameaux, il n'y a plus. La clôture du parc a été percée en de multiples endroits, les barreaux tordus pliés de côté pour laisser des ouvertures de la taille d'un homme par lesquelles quelques passants se glissent pour éviter un détour pour rentrer chez eux.

Q et moi sommes touchés par le sentiment d'abandon qui émane de ce parc, semblable à une ville fantôme. Q surtout, qui l'a connu animé et y a joué. Nous réalisons la vitesse à laquelle la Chine évolue, en bien comme en mal. Q reconnait de moins en moins sa ville à chacun de nos voyages, et les larmes lui viennent aux yeux en le réalisant. Le pouvoir des promoteurs immobiliers parait sans limite...