Cet article fait partie de la série "Retour vers le futur".

La tragédie du Sichuan est plus que jamais d'actualité. Alors que le bilan officiel des victimes ne cesse de s'alourdir, on peut louer pour une fois l'attitude des autorités, qui ont délaissé leur habituelle censure de la presse et de manière surprenante joué la transparence (du moins une transparence tranchant singulièrement avec celle des évènements du Tibet, dont la diffusion avait été soigneusement épurée par la presse officielle).

Comment expliquer un tel changement d'attitude ? Une raison est peut-être liée à l'essor des moyens de télécommunication (Internet, téléphones portables, radio...), qui rendent tout contrôle beaucoup plus hasardeux. Cet argument en lui-même apparaît toutefois comme largement insuffisant à expliquer cette embellie, car d'autres évènements ont pu être étouffés lors d'un passé encore récent. Ce qui change, c'est l'ampleur de la catastrophe et le nombre de Chinois concernés. Le Sichuan n'est pas la province la plus riche de Chine, loin de là. Il s'ensuit que nombre de personnes originaires de cette province travaillent à l'Est, à Shanghai et à Pékin par exemple. Fortement concernés par cette tragédie, ils participent à la mise en place de l'aide et à la diffusion de l'information. Restreindre cette liberté d'action en ce moment aurait été du plus mauvais goût et largement désapprouvé par l'opinion. Les arrière-pensées politiques ne sont sans doute pas loin pour le Parti lui-même. L'exemple le plus frappant est celui du premier ministre, Wen Jiabao, présent sur le terrain depuis le début et ne ménageant pas sa peine. Cet engagement, doublé du charisme naturel du personnage (et ça, je ne peux pas le nier, ce type a un charisme extraordinaire. Tout le contraire du Président), a fait de lui en quelque jour une des personnalités préférées des Chinois. C'est du moins ce que j'ai pu réaliser en discutant avec des étudiants du campus, qui ne tarissent pas de louanges à son encontre. Ne nous voilons toutefois pas la face : Wen Jiabao est un politicien habile. Se hisser au poste de numéro deux de l'État n'est pas seulement affaire de bonnes intentions. Force est toutefois de constater que son attitude est plus que bienvenue en ces temps troublés et que c'est exactement ce dont les Chinois ont besoin.

Comment se manifeste cette liberté d'expression soudainement retrouvée ? Principalement par une transparence des bilans officiels (lors du dernier grand séisme de 1976, il avait fallu attendre 3 ans pour connaître le total de 300 000 morts). Cela ne s'était pas vu depuis bien longtemps. De même, les chaînes chinoises multiplient les émissions spéciales, interrogent les survivants, les sauveteurs, l'armée, les spécialistes...

Cette transparence est naturellement goûtée par la population, mais plus encore par les intellectuels et universitaires Chinois, qui louent le rôle du gouvernement dans la gestion de cette crise, trouvant par là même une occasion d'encourager celui-ci à continuer dans cette voie. La presse étrangère, pour une fois, salue également les efforts en la matière, ce qui a amené certains universitaires à expliquer que le jour où l'information sera libre en Chine, le monde aimera ce pays. Amis Chinois, réfléchissez-y un peu. C'est sans doute le cœur du problème en ce qui concerne les crispations liées au Tibet dernièrement. Des journalistes interdits de travailler ne peuvent pas proposer d'informations "objectives". Plutôt que de reprocher leur biais aux médias occidentaux, jouez la transparence. Ce biais s'estompera de lui-même.

Peut-on espérer que cette attitude d'ouverture à la liberté d'information survive à cette crise ? Il est difficile de se prononcer. Jusqu'à maintenant, l'information était favorable au pouvoir, saluant notamment la rapidité de sa réaction (qui est manifeste). Il est évident également que dans ce genre de situation, la population tend à resserrer les rangs autour de ses dirigeants, s'abstenant de les critiquer trop ouvertement. Ce n'est tout simplement pas le moment dans l'esprit des Chinois. Ces derniers jours, la situation a cependant peu à peu évolué. Les journalistes étrangers signalent qu'il leur est de plus en plus difficile d'être autorisés à accéder à certaines zones touchées par le séisme. Cela intervient au moment où les victimes commencent à s'interroger sur la responsabilité des autorités dans l'ampleur des dégâts. Si la gestion de la crise a été un succès (sauf peut-être concernant les autorisations données tardivement à diverses équipes de spécialistes étrangers de se rendre sur le terrain, alors que l'espoir de retrouver des survivants s'amenuise), de plus en plus de personnes s'interrogent sur les efforts accomplis pour sécuriser les constructions. Les normes ont été réévaluées en 2001, mais les travaux ont traîné. La faute à la corruption, à la décision de favoriser la croissance qui aurait été menacée par les investissements colossaux nécessaires à la remise aux normes... Les écoles ont été durement touchées. L'État est de plus en plus durement montré du doigt pour avoir différé leur reconstruction ou consolidation. La zone est connue pour ses risques de séismes. Ce n'était qu'une question de temps avant que ne survienne une telle catastrophe. Les pouvoirs publiques le savaient, d'où les griefs de la population touchée.

Ainsi, la Chine a expérimenté un temps une liberté accrue en terme de droit à l'information. Il est sensible que cette liberté va peu à peu diminuer. Après son opération médiatique réussie, le Parti va devoir commencer à faire face à un certain nombre de critiques. Si certains de ses dirigeants, comme Wen Jiabao, sont d'ores et déjà à l'abri, d'autres pourraient craindre pour leur place. Dans un contexte qui leur est défavorable, il est peu probable que les gouvernements (central et locaux) ne resserrent pas quelque peu les boulons. Faut-il donc une catastrophe de cette ampleur pour obtenir une certaine ouverture ? C'est hautement regrettable. Cependant, cela constituera un précédent intéressant, et en voulant être optimiste, nous pouvons nous dire que la Chine est en bonne voie.