Qu'est-ce que est tout blanc (ou grisâtre, voir jaunâtre), qui entre partout, même sans invitation, et qui terrorise les Chinois en hiver ? Vous avez trouvé ? Non ? C'est le 雾霾 wu4mai2, ce brouillard de pollution qui depuis quelques années empoisonne l'air des villes chinoises, tout particulièrement en période hivernale.

Pour vous donner une idée du phénomène, je vous ai fait ci-dessous un dessin détaillé de la porte Tian An Men (vous admirerez la finesse des détails) :

Wumai
Tian An Men un jour de pollution

Vous pensez que j'exagère ? Pas tant que ça. Cette photographie (par 螺钉, CC BY-SA 3.0) peut en témoigner :

Parc

Le wumai

Mais qu'est-ce que ce wumai ? Il nous est fait bien connu, car nos pics de pollution estivaux y sont apparentés. Là où les nôtres sont essentiellement dus à la circulation automobile, les Chinois y rajoutent les suies et polluants rejetés par leur grande consommation de charbon. Un phénomène que nous connaissons de longue date : le smog pékinois n'a rien à envier aux smogs londoniens ou parisiens de la fin du 19e siècle, époque où le charbon régnait en maître en Europe.

Cette brume délétère, se compose de différents types de particules, plus ou moins dangereuse et plus ou moins fines. Parmi les plus inquiétantes, les particules fines sortent du lot. Appelées ainsi de par leur petite taille (elles ont un diamètre inférieur ou égal à 2,5 µm), elles parviennent à passer les membranes des poumons et à s'accumuler dans l'organisme.

Des effets dévastateurs

De fait, si le taux d'exposition prolongé maximal défini par l'Organisation Mondiale de la Santé est fixé à 25 µg/m3 sur 24 h (et une valeur moyenne maximale de 10 µg/m3 sur l'année), et si nous déclenchons en France les alertes de pollutions lorsque nous dépassons des valeurs de l'ordre de 50 µg/m3, la concentration en particules fines de l'air pékinois est souvent proche en ce moment d'une moyenne de 75 µg/m3, avec des pointes parfois enregistrées au cours des années précédentes jusqu'à 993 µg/m3, soit près de 40 fois l'exposition quotidienne maximale recommandée !

Ce taux en particules fines, associé à ceux d'autres polluants tout aussi dangereux comme les particules ultra-fines, l'ozone, le dioxyde d'azote, et j'en passe, se trouve désormais associé à des paramètres comme la vitesse du vent, la température et le taux d'humidité pour obtenir un indice composite de qualité de l'air (AQI pour Air Quality Index) qui trouve partout place dans la vie des Chinois, que ce soit dans les journaux, la radio ou la météo.

D'où viennent de tels taux ? Principalement de la combustion du charbon, qui compte pour 67,3 % de la production chinoise d'électricité, une énergie fort sollicitée pour répondre aux besoins en chauffage de la population, mais aussi du trafic automobile et des usines. Le problème se trouve également renforcé par la situation de Pékin, bordée de montagnes, ce qui conduit à une accumulation des polluants moins facilement dispersés par les vents, à l'instar de la situation de Grenoble en France, et par la persistance en hiver d'un anticyclone dans la région.

On commence (malheureusement) à bien connaître les dangers et les coûts sur la collectivité de ce fléau moderne qu'est le tabagisme. Le wumai, c'est un peu comme si du jour au lendemain, toute la population, de 7 à 77 ans (et même en dehors de ces extrêmes) se mettait à fumer en continu. Les personnes âgées, fragiles ou les jeunes enfants font partie des premières victimes, mais tout le monde déguste, sans bienfaisante loi Évin pour nous sauver la mise.

Naturellement, cette situation, outre ses dévastateurs effets sanitaires (dont la portée complète est somme toute encore difficilement quantifiable), pose également un nombre significatif de problèmes dans la vie quotidienne : la circulation automobile devient difficile, certaines personnes se perdent même en voulant retourner chez elles !

Comment réagir ?

De nombreux parents Chinois, légitimement inquiets pour la santé de leurs enfants, décident de les cloîtrer à la maison autant que faire se peut, ne les laissant sortir que le temps de se rendre à l'école. Or, si les effet sur l'humeur générale d'enfermer trop longtemps sa progéniture sont connus (tous les parents reconnaîtront cette pénible situation des jours de pluie où nos doux petits anges se muent en fauves assoiffés de liberté enfermés dans une cage trop petite), il ne faut pas non plus oublier, que faute de circulation d'air souvent suffisante, l'atmosphère des intérieurs est autrement plus polluée que celle de l'extérieur.

Entre alors en jeu le summum de la technologie moderne, plus couru en ce moment-même que les iPhones (car qui voudrait d'un iPhone cloîtré chez soi sans pouvoir frimer devant les copains ?) : les purificateurs d'air. Ces machines, plus ou moins encombrantes, sophistiquées ou efficaces ont pour fonction basique de filtrer l'air pour en ôter une part de ses polluants. Ces équipements, dont le jeune géant des télécommunications Xiaomi lui-même commercialise une version, se vendent comme des petits pains.

C'est bien beau, mais cette armée de purificateurs d'air, elle ne fonctionne pas au jus de rutabaga, mais à l'électricité ! Un surcroit de consommation qu'il faut bien produire... avec du charbon ! Le cercle vicieux se poursuit...

Des solutions plus long terme ?

Il m'est venu une idée pour arranger tout ça, inspirée par l'une des Belles Histoires que mes parents nous lisaient lorsque nous étions petits, celle avec une famille de loups sanguinaires qui se reconvertissent dans la production de tisanes aux vertus apaisantes. Dans ce livre, les loups stockent leur viande dans un grand frigo, mais faute d'électricité, ils en sont réduits à pédaler pour la produire, avec leur fameux "pédalo-frigo". Ne pourrait-on pas envisager de coupler un purificateur d'air à un vélo d'intérieur, avec des accumulateurs pour la nuit ? Voilà de quoi faire faire aux enfants leur exercice quotidien au grand air, en produisant par là-même une future génération de champions cyclistes à même de triompher sur les routes du Tour de France (cerise sur le gâteau, uniquement dopés à l'air frais) !

Du côté du gouvernement chinois, on table d'avantage sur le nucléaire (une quarantaine de réacteurs sont actuellement prévus ou en construction dans le pays), aux effets et aux risques bien connus, mais qui a l'avantage sur le charbon de ne pas intoxiquer (sauf problème grave) l'air respiré par la population. Si une approche plus axée développement durable serait à développer, on ne peut que se dire qu'il y a en effet urgence à agir, avant un désastre sanitaire autrement plus coûteux.

Bien sûr, il existe de nombreuses autres solutions qu'il convient de développer : des déplacements plus doux et moins nombreux, pour réduire la circulation automobile, une meilleure isolation des bâtiments, pour diminuer la consommation liée au chauffage, de meilleurs filtres sur les fumées d'usine (captation des polluants à la source), etc. Reste à avoir la volonté politique de les mettre en place, mais une telle situation sanitaire promet de faire bouger les lignes.

Nous sommes tous concernés

Cette pollution inquiète naturellement beaucoup Q, pour sa famille au premier plan (même si les taux dans le Jiangsu sont moins élevés qu'à Pékin), pour ses amis bien sûr, et aussi pour nous, qui allons prochainement plonger dans le brouillard pour notre prochain voyage là-bas. A-t-on raison d'y emmener L ? Ne vaudrait-il pas mieux attendre que l'hiver soit passé ?

Vous noterez, à titre de remarque finale, un ton relativement différent de celui de mes articles habituels. Face à un tel danger, contre lequel il est difficile d'agir, l'humour un peu grinçant est une forme de protection. Je pense importants que les lecteurs Français prennent conscience de ce que vivent en ce moment leurs amis Chinois. Nous vivons tous dans le même monde ; ce qui affecte les uns, fini fatalement par impacter les autres. On peut donc en rire... mais jaune.

Références