Introduction

QQ, Weibo, Taobao, Weixin... Ces noms ne vous disent peut-être rien, mais pour la plupart des Chinois, ils sont synonymes d'Internet, à l'instar de nos Skype, Twitter, Amazon ou WhatsApp (tous américains !). Fleurissant sur un marché protégé par une censure puissante, nourris par une préférence nationale bien présente, les géants du Web chinois dament systématiquement le pion à leurs équivalents occidentaux, et ce dans quasiment tous les domaines (réseaux sociaux, vente en ligne, recherche sur Internet, etc.).

Si certains de ces équivalents ont commencé comme des copies pures et simples de leurs concurrents américains (à l'instar de QQ, parfait clone de MSN, ou de Baidu, qui allait jusqu'à calquer l'organisation de sa page d'accueil sur celle de Google), ils ont depuis dû faire preuve d'innovation pour se démarquer de leurs concurrents internes, sur un marché chinois où s'affrontent plusieurs grands groupes.

Exemple le plus symbolique de la difficulté à concilier raisons économiques, éthique, image à l'étranger et respect des lois chinoises sur la surveillance du Web, Google a décidé en 2010 de fermer ses bureaux et serveurs en Chine pour se replier sur sa filiale de Hong-Kong, mettant fin au contrôle de ses résultats par la censure mais laissant un boulevard à Baidu, son principal concurrent dans le pays. L'entreprise de Palo Alto entendait aussi protester par ce départ contre les piratages originaires de Chine dont elle avait été victime – avec d'autres entreprises américaines – à des fins notamment d'espionnage industriel.

Qui sont donc ces acteurs qui bousculent la donne dans le pays le plus peuplé du monde ? Comment s'exerce cette censure omniprésente qui a abouti à un paysage Internet aussi radicalement différent de celui que l'on voit depuis la plupart des pays du monde ? Je vais essayer dans cet article de répondre successivement à ces deux questions.

Quelques équivalents chinois

Dans cette section, je vous propose une liste non exhaustive – mais tout de même relativement représentative – des différents logiciels, portails et services utilisés au quotidien par la majeure partie des Chinois, qu'ils résident en République Populaire de Chine ou à l'étranger (auquel cas, ces services cohabitent souvent avec leurs équivalents occidentaux).

Recherche sur Internet

百度 Bai3du4 (équivalent de Google) est un moteur de recherche pour Internet. Majoritaire en Chine (64,5 % du marché en Janvier 2013), il a su bénéficier du retrait de Google et miser auprès de son public sur sa capacité (supposée) à mieux appréhender le Web chinois que son concurrent américain. Son slogan 百度一下,你就知道 Bai3du4 yi1xia4, ni3 jiu4 zhi1dao4 ("Baidu un coup, et tu sauras") a connu un franc succès auprès des Chinois (tout comme les Américains tendent à utiliser "google" comme verbe). Personnellement, j'ai apprécié lorsque j'étais en Chine sa fonction de recherche de mp3, qui permettait alors, en déni de toute propriété intellectuelle, de télécharger de la musique chinoise (la musique est une bonne façon d'apprendre du vocabulaire). Depuis, le service a évolué en un portail plus semblable à Spotify ou bien Google Play Music.

Microblogging

新浪微波 Xin1lang4 Wei1bo1, connu en Europe comme "Sina Weibo" (ou simplement "Weibo") est à l'origine un clone de Twitter (qui n'a pas droit de citer en Chine pour des raisons évidentes de censure depuis les émeutes d'Ürümqi en 2009). Le service s'est depuis fortement développé et fournit d'autres fonctionnalités que son concurrent américain ne propose pas. Avec 90% de part de marché et 500 millions d'utilisateurs, il est le premier service de microblogging chinois.

腾讯微波 Teng2xun4 Wei1bo1, également connu sous le nom de Tencent Weibo, est un concurrent de Sina Weibo, également spécialisé dans le microblogging. Bien que disposant de parts de marché moins importantes que son concurrent direct, il émane du géant Tencent, troisième capitalisation boursière au monde parmi les sociétés Internet (juste derrière Google et Amazon), qui fournit également les services QQ et WeChat présentés dans cette section.

微信 Wei1xin4, connu à l'international sous le nom de WeChat, est un service de Tencent qui ressemble dans l'esprit à WhatsApp (racheté 19 milliards de dollars par Facebook en février 2014). Véritable phénomène dans le Monde Chinois, mais également de plus en plus dans le reste du monde, il comptait en novembre 2013 près de 600 millions d'utilisateurs. Tencent a d'ailleurs consacré un budget publicitaire très important pour développer la diffusion internationale de WeChat, avec notamment des interventions du footballeur Lionel Messi, que vous avez sans doute pu voir sur les chaînes de télévision françaises.

Messagerie instantanée

QQ est un service de messagerie instantanée proposé par l'omniprésent géant Tencent. Très populaire en Chine, il tient de Skype et de feu-MSN, avec une flopée de fonctionnalités supplémentaires dont certaines payantes. En dépit du succès des Weibo et autres Weixin, QQ reste très largement utilisé de nos jours, même s'il n'a plus l'aura qu'il pouvait avoir il y a quelques années. Le pingouin qui lui sert de mascotte est une véritable réussite commerciale en lui-même, avec de nombreux produits dérivés (sacs, vêtements, peluches, etc.) qui ont fortement contribuer à faire de Tencent le poids lourd qu'il est aujourd'hui.

La possibilité de créer un avatar à habiller et accessoiriser soi-même à l'aide d'options payantes a connu un certain succès, notamment de par la possibilité d'offrir des accessoires à d'autres utilisateurs.

Réseaux sociaux

QQ空间 QQ Kong1jian1 (aussi appelé QZone) est un réseau social de Tencent qui mixe allègrement le réseau social à la Facebook à un moteur de blog de type WordPress ou Blogspot. Ses liens avec QQ et ses possibilités de personnalisation en ont fait l'un des réseau les plus populaires de Chine, avec plus de 623 millions d'utilisateurs inscrit en novembre 2013 (dont 150 millions d'utilisateurs actifs chaque mois).

人人 Ren2ren2, initialement créé par des étudiants de l'université 清华 Qing1hua2 de Pékin, et 开心网 Kai1xin1wang3 sont quelques-un des nombreux réseaux sociaux chinois nés dans le sillage de Facebook et qui ont beaucoup bénéficié du bannissement de ce dernier. Si avec le temps certaines fonctionnalités spécifiques sont venu s'ajouter au concept initial, la ressemblance avec leur concurrent américain reste frappante. Ces deux réseaux revendiquent de l'ordre de 180 millions de membres chacun, mais pâtissent dernièrement de la popularité des Weibos et autres Weixin.

Vente en ligne

淘宝 Tao2bao3 est le site de vente en ligne par excellence en Chine. Véritable caverne d'Ali-Baba, on y trouve de tout, pour tous les goûts et tous les prix. Sorte de marché géant, il permet à de nombreux particuliers d'ouvrir leurs boutiques (et ça fait fureur : j'en connais personnellement plusieurs, c'est dire !), et un système de paiement sécurisant les fonds mais ne les versant qu'à la réception si le produit convient au client n'est pas pour rien dans son succès. Chine oblige, la plupart des vendeurs sont joignables par messagerie instantanée ou par téléphone 24/24 7/7. De ce fait, Taobao a très rapidement fait de l'ombre aux traditionnels Ebay et Amazon, et même à alibaba.com (détenu par le même groupe), qui est plutôt destiné aux entreprises.

Partage de vidéos

土豆 Tu3dou4 et 优酷 You1ku4 sont deux sites de partage de vidéos très populaires en Chine, semblables à Youtube. Ils proposent en outre des offres commerciales de vidéo et de télévision à la demande, avec des contenus chinois, mais également européens ou américains. Leurs serveurs étant situés en Asie (auprès de leur clientèle principale), ils semblent parfois un peu lents vu d'Europe, mais il est tout à fait possible d'y accéder.

Encyclopédie en ligne

百度百科 Bai3du4bai3ke1 est une encyclopédie collaborative en ligne, exclusivement en chinois simplifiée, et semblable par sa forme à Wikipédia. Sur le fond, il en va naturellement bien différemment, car bien loin des idéaux d'indépendance et de non-profit de son modèle, Bai3du4bai3ke1 appartient au groupe Bai3du4 et a été conçue pour fournir une alternative compatible avec la censure chinoise, qui considérait Wikipédia (dont les serveurs sont situés à l'étranger) comme susceptible de présenter un contenu qu'elle ne pouvait facilement expurger.

Navigateurs Internet

Si dans le monde la guerre des navigateurs fait rage entre Chrome, Firefox et Internet Explorer, il n'en est pas de même en Chine : que ce soit directement ou indirectement (via des navigateurs tierces basés sur son moteur de rendu), Internet Explorer équipe plus de 90 % des ordinateurs chinois. Il faut dire que la plupart des sites chinois, organismes gouvernementaux et banques en tête, sont spécialement conçu pour Internet Explorer, et fonctionnent mal, voir pas du tout lorsque l'on utilise un autre navigateur.

J'ai à ce sujet une expérience assez édifiante lors de ma parenthèse chinoise de 2007-2009. J'utilisais alors (et j'utilise toujours) Linux comme système d'exploitation, et suis un fidèle abonné à Firefox, mon navigateur de choix quelle que soit la plate-forme que j'utilise. Or, que ce soit pour la banque en ligne ou pour l'accès à nombre de ressources de l'université, Internet Explorer et Windows étaient tous les deux requis, sans échappatoire, car les différents systèmes se basaient sur la technologie ActiveX de Microsoft.

La "Grande Muraille de Chine"

La "Grande Muraille de Chine" est le surnom donné au système de censure d'Internet mis en place par le gouvernement chinois. Sous ce terme général se cachent différentes solutions techniques et humaines visant à s'assurer que le Web ne serve pas de moyen de ralliement aux différentes crispations de la société qu'il est plus facile pour les autorités de gérer si elles restent isolées.

La manifestation la plus typique, je l'ai vécu à de nombreuse reprise : j'entre une adresse Internet, je presse la touche "Entrée", j'attends... et Firefox me gratifie d'un charmant message du genre "La connexion a été réinitialisée pendant le chargement du site", voir plus sournoisement lorsque je clique certains liens sur les blogs que j'ai l'habitude de consulter lorsque je fais de la veille technologique (ce qui est important dans mon métier). Pour avoir utilisé des solutions de contournement (elles existent), je sais que les sites à l'autre bout fonctionnent très bien, mais pour quelqu'un qui ne se poserait pas trop de question, Internet apparaîtrait plein de voies sans issues, de liens qui ne mènent nul part, et ce serait là un défaut technique qui lui serait inhérent.

Une autre manifestation de la censure peut se retrouver au niveau des moteurs de cherche (génériques ou depuis des services comme Weibo), qui répondent à certains mots clés que la recherche n'est pas autorisée.

Le filtrage mis en place par les autorités n'est pas très subtil, en règle générale. Blogspot ou Wordpress sont par exemple deux plateformes de blogs très utilisées dans le monde. Qui dit blog, dit contenu divers, potentiellement subversif, mais également contenu tout à fait légal du point de vue de la loi chinoise, tel celui sur les technologies informatiques auquel je tentais d'accéder. Plutôt que d'analyser un tant soit peu ces différents contenus, le système se bornait à bloquer tout site appartenant à ces noms de domaine ! Un autre cas est celui de Wikipédia, qui s'est trouvé tantôt bloqué, tantôt accessible, suivant les humeurs du moment ou la propension des fournisseurs Internet à faire ou non du zèle pour se mettre à l'abri de tout reproche.

Il existe différentes solutions techniques pour contourner le filtrage (même si ce n'est certainement pas très légal de s'y soustraire). La plus simple consiste à passer par un proxy, c'est à dire un serveur intermédiaire, non bloqué par la censure et situé à l'étranger, qui se connectera à la ressource désirée et vous la transmettra. Il existe des listes de proxys gratuits (moyennant publicité), mais il faut garder à l'esprit que pour ne pas se faire bloquer à leur tour il s'en crée chaque jour ou chaque semaine de nouveaux tandis que les anciens disparaissent, et qu'il n'y a surtout aucune garantie quant à la sécurité de vos données ! En effet, le proxy voit tout ce que vous faites transiter par le réseau, mots de passe compris ! N'utilisez donc jamais de proxy gratuit pour quoi que ce soit de confidentiel. Une solution alternative est de passer par un proxy payant, qui peut vous assurer le cryptage de vos données, mais la meilleure solution (de loin), est la mise en place d'un VPN (Virtual Private Network) entre une machine à vous située à l'étranger qui servira de proxy et votre ordinateur. Cela vous assure le sérieux de l'intermédiaire, et pour peu que vous cryptiez les échanges une grande sécurité pour vos données.

Sur les forums ou les réseau sociaux, la censure est très présente, et plus difficile à déjouer. On parle parfois de "crabes de rivière" pour désigner les modérateurs un peu trop pointilleux, jeu de mot entre 河蟹 he2xie4 (crabe de rivière) et 和谐 he2xie2 (l'harmonie), ce dernier terme faisant référence à la "société harmonieuse" (和谐社会 he2xie2 she4hui4), le slogan du régime sous les deux mandats de 胡锦涛 (Hu2 Jin3tao1) de 2003 à 2013. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas forcément des gens payés par le gouvernement, mais bien souvent des employés de sites qui souhaitent s'éviter les désagrément d'une mise sur liste noire, ou parfois juste des citoyens qui pensent qu'il est de leur devoir de rectifier les "dérives" de leurs compatriotes (l‘auto-censure du Web chinois prends parfois des proportions significatives).

Depuis quelques années, nombre de réseaux sociaux exigent de leurs membres leur numéro de carte d'identité pour pouvoir s'inscrire. Se savoir ainsi connu a des vertus apaisante pour beaucoup d'excités ! Pour autant, même si on ne peut pas généraliser à toute la jeunesse chinoise, les jeunes que j'ai pu par exemple croiser à l'université ne sont pas nés de la dernière pluie : ils ont pleinement conscience du filtrage, et une sorte de vocabulaire parallèle a vu le jour, permettant en pratique de parler de tout et de n'importe quoi sans tomber sur des mots clés interdits que le système intercepterait automatiquement.

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Références